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lundi 25 janvier 2016

Un singe en hiver : court résumé, tournage et anecdotes.


L'histoire
     1944, à Tigreville (en réalité Villerville), dans le Calvados. Albert Quentin (interprété par Jean Gabin), autrefois fusilier-marin en Chine, tient l'Hôtel Stella avec sa femme Suzanne (jouée par Suzanne Flon). En plein bombardement, Albert promet à sa femme que si leur hôtel échappe aux bombardement, il ne boira plus une goutte d'alcool. L'hôtel ne sera pas bombardé, Albert tiendra sa promesse.
     15 ans plus tard, un inconnu débarque à Tigreville. Il s'appelle Gabriel Fouquet (Jean-Paul Belmondo). Et il boit. Beaucoup. Surtout pour oublier l'échec de sa vie sentimentale avec Claire, qui vit à Madrid alors que leur fille est pensionnaire à Tigreville.

Gabriel Fouquet : - Messieurs, votre accueil me bouleverse mais ne saurait égarer mon jugement. J'ai tout de même pas mal voyagé, ce qui me permet de vous dire en connaissance de cause que votre patelin est tarte comme il est pas permis, et qu'il y fait un temps de merde. 
Un client du bistrot : - Je suppose que Monsieur plaisante. 
Gabriel Fouquet : - Absolument pas ! 
Un client du bistrot : - Vous savez combien y'a eu de jours de soleil en juillet ? Dix-sept ! 
Gabriel Fouquet : - Soleil de mes fesses. Vous savez pas ce que c'est que le soleil. Vous l'avez jamais vu, vous !

     Albert, pris d'une certaine sympathie pour le jeune homme alcoolisé, ne peut s'empêcher de repenser à sa vie "d'avant", et à l'ennui de sa nouvelle vie sans alcool. Il n'hésite pas à dire : « Dis-toi bien que si quelque chose devait me manquer, ce ne serait plus le vin, ce serait l'ivresse ! ». Albert se rend compte qu'il n'a pas eu sa "dose d'imprévu".

Albert : - Écoute, ma bonne Suzanne, t'es une épouse modèle.
Suzanne : - Mof !
Albert : - Mais si, t'as que des qualités. Et physiquement, t'es restée comme je pouvais l'espérer. C'est le bonheur rangé dans une armoire. Et tu vois, même si c'était à refaire, et bien je crois que je t'épouserais de nouveau. Mais tu m'emmerdes.
Suzanne : - Albert !
Albert : - Tu m'emmerdes gentiment, affectueusement, avec amour ! Mais tu m'emmerdes ! J'ai pas encore les pieds dans le trou, mais ça vient, bon dieu ! Tu te rends pas compte que ça vient ? Et plus ça vient, plus je me rends compte que j'ai pas eu ma dose d'imprévu ! Et j'en redemande. T'entends ? J'en redemande !

     L'arrivée de Gabriel Fouquet dans sa vie va cependant changer la donne. Grâce à l'ivresse retrouvée, les deux hommes, qui n'ont "ni le vin petit, ni la cuite mesquine", vont connaître deux jours apocalyptiques. L'un va retrouver l'Espagne, l'autre... la Chine.

Esnault : - Ton client, là, Fouquet. Ton espagnol. Douze verres cassés ça te dis rien ?
Albert : - Monsieur. Primo, voilà quinze ans que je vous interdis de me parler. Deuxio, si vous ne vouliez pas qu'il boive, c'est simple, vous n'aviez qu'à pas le servir.
Esnault : - Alors là monsieur, je vous rétorque que, primo, je l'ai viré. Deuxio, les ivrognes y'en a assez dans le pays sans que vous les fassiez venir de Paris.
Albert : - Un ivrogne ?
Esnault : - Ah ben oui ! Un peu ! Même le père Bardasse qui boit quatorze pastis par jour n'en revenait pas !
Albert : - Ah parce que tu mélanges tout ça, toi ! Mon Espagnol comme tu dis et le père Bardasse. Les Grands Ducs et les Bois-sans-soif !
Esnault : - Les grands ducs !
Albert : - Oui, monsieur ! Les princes de la cuite, les seigneurs ! Ceux avec qui tu buvais le coup dans le temps et qui ont toujours fait verre à part ! Dis-toi bien, que tes clients et toi, ils vous laissent à vos putasseries les seigneurs : ils sont à cent mille verres de vous ! Eux, ils tutoient les anges !
Esnault : - Excuse-moi, mais nous autres on est encore capable de tenir le litre sans se prendre pour Dieu le Père !
Albert : - Mais, c'est bien ce que je vous reproche ! Vous avez le vin petit et la cuite mesquine. Dans le fond, vous ne méritez pas de boire ! Tu te demandes pourquoi il picole l'Espagnol ? C'est pour essayer d'oublier les pignoufs comme vous !

     La belle euphorie des deux compères donnera même un duo a cappella sur la fameuse chanson Nuit de Chine. L'apothéose de cette nuit des "princes de la cuite" s'achèvera sur la plage, par un énorme feu d'artifice. Et puis chacun, finalement, retournera à sa vie d'avant.

Albert : - Matelot Hénault Lucien, veuillez armer la jonque, on appareille dans cinq minutes.
Hénault : - C’est parti
La tenancière : - Albert, je vous en prie, vous n’allez pas encore tout me saloper comme la dernière fois.
Albert : - Madame, le droit de navigation sur le Yang Tse Kiang nous est formellement reconnu par la convention du 3 août 1885. Contesteriez-vous ce fait ?
La tenancière : - Je ne conteste rien. Je vous demande simplement de ne pas tout me casser comme l’autre jour.
Albert : - Oh… mais pardon ! L’autre jour, les hommes de Chung Yang Tsen ont voulu jouer aux cons. Heureusement que j’ai brisé la révolte dans l’oeuf, sans barbarie inutile, il est vrai. On n’a coupé que les mauvaises têtes ; le matelot Hénault peut témoigner.

Hénault : - Sur l’honneur.
Albert : - Bon. Nous allons donc poursuivre notre mission civilisatrice. Et d’abord, j’vais vous donner les dernières instructions de l’Amiral Guépratte, rectifiées par le Quartier-Maître Quentin ici présent. Voilà : l’intention de l’Amiral serait que nous percions un canal souterrain qui relierait le Wang-Ho au Yang-Tse-Kiang.
Hénault : - Le Yang-Tse-Kiang ?!
Albert : - Je ne vous apprendrai rien en vous rappelant que Wang-Ho veut dire "Fleuve jaune", et Yang-Tse-Kiang "Flauve bleu". Je nesais pas si vous vous rendez compte de l'aspect grandiose du mélange. Un fleuve vert. Vert comme les forêts, comme l'espérance. Matelot Hénault, nous allons repeindre l'Asie et lui donner une couleur tendre. Nous allons installer le printemps dans ce pays de merde.



Un film qui ne devait pas se faire !

      Au printemps 1961, Gabin est fâché contre Audiard, qui est parti en vacances en Italie sans avoir trouvé de sujet pour leur prochain film. Or, les caméras doivent commencer à tourner en octobre. Finalement, Gabin se calme en apprenant qu'Audiard a trouvé une idée : une adaptation du roman maritime de Roger Vercel, Au large de l’Eden, l'histoire d'un commandant de morutier en route vers le Groenland. Il demande alors à ce que tout le monde se réunisse le soir même à une table du Fouquet’s ; il ignore évidemment que personne n’a lu le roman. Mais Audiard ne se démonte pas pour si peu : « Tu comprends, y en a marre de ces films où t’as toujours le cul dans un fauteuil. On va te faire un film de grand large. Toi, Jean, qui aimes la mer, tu vas pouvoir la respirer à pleins poumons pour le coup ! Tu vas être à la barre d’un morutier luttant dans les tempêtes. Et pis ton regard bleu sur la banquise blanche, ça va être drôlement chouette ! Tu te vois déjà, non ? »
     Alors qu’Albert Simonin travaille à l’adaptation, Jacques Bar réserve un morutier auprès d’un armateur de Saint-Malo. Début septembre, il y fait monter Gabin… Mais quand Gabin, pressenti pour le rôle, monte sur le bateau il trouve que "ça sent la morue, et l'odeur du poisson et du gazole ça donne mal au cœur !". L'aventure commence mal... Lors de la lecture du scénario par Simonin, tout le monde est convaincu que ce film... n'est ni fait, ni à faire. Gabin refuse bien entendu ce film. A la Metro Goldwyn Mayer, on s'inquiète, car si Gabin ne tourne rien à la date prévue, il faudra lui payer un dédit.


     Michel Audiard propose alors une idée refusée par la MGM l’année précédente, une adaptation du livre d’Antoine Blondin, Un Singe en Hiver (prix inter allié 1959). La MGM l'avait refusé, n'y voyant qu'une histoire d'alcooliques. Mais cette fois, elle n'a plus vraiment le choix.
Audiard soumet toutefois une condition : Jean-Paul Belmondo doit interprète Gabriel Fouquet. Henri Verneuil fait donc appel au jeune acteur de la nouvelle vague, Jean-Paul Belmondo, 28 ans à l'époque, révélé 3 ans plus tôt dans A bout de souffle de Jean-Luc Godard.
     Bébel est impressionné par la proposition, car Gabin a été une de ses premières révélations. Mais avant de se demander s'il sera à la hauteur, il s'interroge sur son rôle et demande à Henri Verneuil s'il va « servir la soupe » à la star. « Regarde-moi bien dans les yeux, lui dit-il, on peut mentir à quelqu’un à court terme mais je ne me mettrai jamais dans cette situation et je te dis : vous avez deux rôles à égalité totale. » Belmondo accepte et le producteur Jacques Bar organise la rencontre entre les deux dans ses bureaux du 58, rue Pierre-Charon, à deux pas des Champs-Élysées. Gabin a alors 57 ans et à cette époque on l'appelle déjà "Le vieux", ses cheveux blancs et sa brioche y étant sans doute pour quelque chose ! Gabin accepte tout de suite de tourner avec Belmondo, bien qu’il n’ait jamais vu ses films. Pourtant, leur première rencontre est assez solennelle.
Belmondo : - Bonjour, monsieur.
Gabin : - Bonjour, monsieur.

Le tournage.
     Le film est tourné durant l'hiver 1962. Au début du tournage, les deux acteurs sont restés une semaine sans s'adresser la parole. Puis "ça s'est détendu !". Gabin lisait Paris-turf et Bebel L’Équipe, l'amour du sport a fini par rompre la glace... Ils ne se sont plus quittés. Gabin trouve alors en Bébel son fils spirituel. Il l'appelle "le môme". « Embrasse-moi, mec. T'es mes vingt ans ! », dit Albert à Gabriel. Tous deux ont la même décontraction face à l'objectif.

     Le tournage débute à Houlgate par les scènes d’ouverture du film se déroulant en 1944. Dès son premier jour, Gabin doit jouer l’ivresse, un état qu’il ne connaît pratiquement pas, malgré son penchant pour la boisson. Avec Paul Frankeur, il zigzague entre les explosions, dont l’une manque de faire passer l’assistant-réalisateur Claude Pinoteau de vie à trépas ! La semaine suivante, les prises de vue se poursuivent aux studios de Saint-Maurice.

     Le 11 janvier 1962, Jean-Paul Belmondo fait son entrée sur le film pour tourner les plans 364 à 368. Tous avec Gabin. Il s’agit de l’arrivée d’Albert et Gabriel au bar de Georgina, bien décidés à se saouler.

Gabriel : - Dites-donc, qu'est-ce que c'est votre endroit ?
Albert : - Eh ben, les gourmets disent que c'est une maison de passe, et les vicelards un restaurant chinois.
Gabriel : - Vous y allez souvent ?
Albert : - J'y allais...
Gabriel : - A votre avis, pour c'qu'on veut en faire, vaudrait mieux que ce soit canaille ou chinois ?
Albert : - Que ce soit fermé... 


     Une scène qui arrive au troisième tiers de l’histoire, alors que les deux hommes ont eu le temps de s’apprivoiser. En revanche, les deux acteurs, eux, se connaissent à peine. Mais Belmondo se laisse surtout conduire par Gabin dans ce lieu de perdition. Le lendemain, ils tournent la saoulerie proprement dite (plans 374 à 385), multipliant les toasts (au thé !), accoudés au comptoir.
     A ce moment du tournage, malgré cette complicité devant la caméra, les rapports entre les prises sont inexistants. Gabin ne facilite pas vraiment les choses. « Il ne pipe pas un mot et vous regarde comme si vous étiez un paillasson, raconte Belmondo. Au bout d’un moment, cela devient gênant. Il semble se balancer totalement de ce qu’il va jouer ou ne pas jouer, et l’on se demande s’il a remarqué votre présence. Il lit Paris-turf en mangeant et ne salue personne, comme s’il était inconnu dans le studio où il prend ses repas. Comme je n’ai pas l’habitude d’aller lécher les orteils de ce genre de types, je l’ai laissé dans son coin. »
     Le premier assistant-réalisateur Claude Pinoteau apporte cependant une précision à propos de l'attitude du « Vieux » sur un tournage : « Il ne parlait jamais. Quand il arrivait sur le plateau (même les jours où il ne tournait pas, il était là), il s'asseyait sur son fauteuil et regardait tout le monde. Si un technicien n'était pas à la hauteur ou se montrait antipathique, il en faisait assez vite sa tête de turc. Mais il respectait beaucoup les pros, les gars qui faisaient leur métier. Il observait un mutisme assez courant, souvent parce qu'il lisait son journal mais surtout par respect, parce qu'il faut du silence sur un plateau. Et ça l'amusait beaucoup plus d'être là et d'observer, plutôt que de rester dans sa loge. Dès que Belmondo est arrivé, ils étaient tous les deux sur des fauteuils, l'un à côté de l'autre. Comme Gabin ne parlait pas, Jean-Paul respectait son silence et il ne parlait pas non plus. Gabin a dû lui adresser la parole une fois, à cause des répétitions. »


     Après ces deux jours en studio, l’équipe repart pour la Normandie. Les relations entre les deux acteurs sont toujours les mêmes. « Nous déjeunions ensemble, se souvient Jean-Paul Belmondo. Il lisait son canard et moi, L’Équipe. On ne s’est pas dit un mot en huit jours. »
     Pinoteau attribue aussi une part de ce silence au jeune acteur. « J'ai connu Belmondo sur d'autres films où il était plus extraverti, plus farceur. Sur celui-là, il était plus réservé, car il respectait infiniment Gabin qui l'impressionnait. Il mesurait la chance qu'il avait de jouer avec lui. Il avait le souci de faire le poids. Avec une telle personnalité, il pouvait craindre d'être estompé complètement par Gabin, de disparaître. Il était très motivé pour faire le mieux possible et, en même temps, avec une simplicité qui ressemble à Jean-Paul. »

     L'ancien observe son cadet et, petit à petit, se sent des affinités avec lui. Savoir qu’il a fait de la boxe et le voir lire un journal sportif y sont certainement pour quelque chose… Il apprécie aussi son naturel, cette façon de rester lui-même devant la caméra, tout comme lui. « Brusquement, un jour, Gabin m’a parlé avec une chaleur retenue que j’ai prise pour celle de l’amitié et je ne me trompais pas. Visiblement, il m’aimait bien. Mieux que ça. Nous sommes devenus de grands copains. Il a déclaré à tous les journalistes de passage que j’étais son successeur et que j’aurais pu tenir ses rôles d’avant-guerre aussi bien que lui. »
     Henri Verneuil le confirme : « Combien de fois il m’a dit : “Maintenant, vous ne me direz plus : ‘Il nous faudrait un Gabin d’il y a trente ans’ : il est là !” Gabin a adoré Jean-Paul. Il l’a senti. Et Jean-Paul avait la notion du respect sans être un lèche-bottes. »


     Cette amitié entre Gabin et Belmondo se ressent dans la scène tournée de nuit le 26 janvier, lorsque Jean serre Jean-Paul dans ses bras et lui dit : « Embrasse-moi, mec ! Tiens, t’es mes vingt ans ! » L’ambiance est détendue, surtout lorsqu'on en arrive aux scènes d'ivresse dans les rues de Villerville. « Gabin ne se retenait pas, se souvient Claude Pinoteau, il y allait carrément. Pour Belmondo , c'était plus facile de se lâcher, voyant Gabin se lâcher lui-même. Ils se sont amusés, et nous, derrière la caméra, on se bidonnait. Donc, ils étaient contents. » Quand il s'agit d'interpréter Nuits de Chine en duo, Jean-Paul révèle une inaptitude totale au chant ! « Je chante tellement faux que je le faisais dérailler : “Oh ! le con, disait Gabin, j’ai jamais vu ça. Tu le fais exprès !” Et il en pleurait de rire. »
     Et ce n'est pas l’arrivée de Noël Roquevert, qui joue le rôle de Landru le patron du bazar, qui va plomber l'ambiance, bien au contraire. « C’était un obsédé sexuel extraordinaire ! se souvient Belmondo. Il passait son temps à sortir des photos cochonnes, sa femme était à l’autre bout, sourde comme un pot, elle lui demandait : “Qu’est-ce que tu fais ?” Et lui, imperturbablement sec : “C’est rien, chéri, je montre le chien !” Gabin pleurait de rire. Toute la journée, Roquevert ne parlait que de cul. »

     Roquevert s’amuse encore plus lors du tournage de la scène des feux d’artifice, filmée sur la plage de Villerville. « Les premiers essais ont été mauvais parce que la poudre était humide et que Jean décampait avant même d’avoir allumé les mèches. Je me souviens très bien qu’il arrivait à pas lents devant les fusées qui devaient éclater. Il tendait la main et approchait le bâton enflammé vers la mèche qu’il devait allumer. Soudain, il était pris de panique et s’enfuyait à toutes jambes. Lorsqu’il revenait, sa main tremblait autant, sinon plus, et, une nouvelle fois, faisait demi-tour. Au bout de quatre ou cinq essais - enfin - il a réussi. Ces mèches allumées, nous devions partir en courant. Là, c’était prévu au scénario ! Belmondo, tel un gamin, me criait : “J’te gomme ! j’te gomme !”. Moi, plus gamin que lui, j’ai forcé l’allure… et je me suis claqué un muscle. »

     Les 1er et 2 février, Henri Verneuil tourne la fameuse scène de la corrida. À l’entrée de Tigreville, Gabriel Fouquet joue les toréadors avec les voitures de passage. Si un Espagnol lui donne des conseils pour acquérir les bons gestes, Belmondo se souvient surtout de la scène dont il a été le témoin à Saint-Germain-des-Prés, quelques années auparavant : Antoine Blondin lui-même s’était livré à cet exercice devant la Rhumerie martiniquaise ! La corrida motorisée est une vraie cascade qui présente des risques. L’acteur manque d’ailleurs de peu de se fracturer la main. S’il est déjà casse-cou, Belmondo n’en a pas encore la réputation, qui fera tant pour sa popularité. « Tu es fou ? lui dit Gabin. Ne refais jamais ça, Jean-Paul. On paie des gens pour prendre ces risques. »

     L'équipe repart en studio à partir du 6 février pour encore un mois de prises de vue. Un singe en hiver sort dans les salles le 11 mars et est présenté parallèlement à Cannes, pendant le festival mais sans en faire partie ! Une projection est en effet organisée au Rex, rue d'Antibes, pour les journalistes. « Je crains fort de manquer de vocabulaire pour vous décrire la joie ressentie par tous les ayants droit qui se sont battus pour assister à cet événement, écrit Steve Passeur dans L'Aurore. Pour une fois, nos jugeurs de films n'ont pas été avares de leurs éclats de rire. Ils retentirent, dans un style étonnant, pendant quatre-vingt-dix minutes. »

La fameuse scène du bar.
     Au niveau technique, rien de mirobolant. De toute façon, pas besoin de fioritures. Trois travellings, et le reste de la scène est tournée en plans fixes frontaux qui opposent les deux personnages au reste du bar.
     C'est une scène devenu culte, car la complicité entre Gabin et Belmondo y est évidente. La scène est rythmée par les dialogues impeccables d'Audiard.

La scène se fait en trois temps :
- Premier temps : ambiance ordinaire dans le petit bar normand. Les boules de billards s'entrechoquent, brouhaha des consommateurs.
- Deuxième temps : la porte s'ouvre d'un coup. Silence de mort. Étonnement. Belmondo et Gabin vont jusqu'au bar.
- Troisième temps : la voix de Gabin s'élève dans un silence de mort "Deux Calva !".
S'ensuit le dialogue entre Gabriel (Belmondo), Albert (Gabin) et Esnault (Paul Frankeur) :
Esnault : - Ah toi tu ferais mieux de t'en tenir là avant que tes espagnolades te r'prennent !
Gabriel : - Monsieur Hénault, si la connerie n'est pas remboursée par les assurances sociales, vous finirez sur la paille.
Esnault : - Dis donc p'tit malpoli, tu veux que j't'apprenne !
Albert : - Monsieur Hénault, je vous interdis de tutoyer mon homme de barre. J'vous ai d'jà dit qu'vous n'étiez pas de la même famille.
Esnault : - Alors toi j'te préviens si t'es venu pour me donner des ordres, j'vais vous virer tous les deux à coups de pompes dans le train !
     Après une bonne claque d'Albert au sieur Hénault, arrive le moment final : Albert et Gabriel partent.
Gabriel : - Albert. Y'm'font mal aux yeux. Tirons-nous.
Albert : -T'as raison, va. On n'a rien à foutre chez les français moyens. On n'appartient pas au même bataillon.
Esnault : - Et les calva, qui c'est qui va me les payer ?
Albert : - Adressez-vous à l’intendance. Nous, on ne connait plus, on ne salue plus.
Gabriel : - On méprise !
La porte claque. Le miroir tombe et se brise... Fin de la scène !

Anecdotes
     A force de les montrer en train de picoler à l'écran, Un Singe en hiver eu fort à faire avec la commission de censure qui y voyait une apologie de l'alcool. Et le ministère de la santé s'offusqua de la trop bonne visibilité des marques d'apéritifs à l'écran.
     A sa sortie, en mai 1962, l'histoire de ces deux ivrognes ne fait donc pas l'unanimité. Seul Jean Rochereau écrit dans La Croix: "Je sais je ne devrais pas écrire cela. Ce n'est pas bien, certes, de soutenir une œuvre querellée par le ministère de la santé publique mais qu'y puis-je si Un Singe en Hiver m'a mis le printemps au cœur..."

Albert : - Pourquoi buvez-vous ?
Gabriel : - La question m'a déjà été posée Monsieur le Proviseur !
Albert : - Probablement par des gens qui vous aiment bien !
Gabriel : - Probablement… Claire me la posait trois fois par semaine. Elle devait m'adorer.

3 commentaires:

  1. Très chouette article, merci !

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  2. Un de mes quelques films français cultes ! J'avais 9 ans à sa sortie mais chaque fois que je le vois (et je l'ai vu...) je suis transposé à cette époque au milieu des acteurs, Gabin, Belmondo, Flon, Roquevert, Francoeur, ... .

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