samedi 29 juin 2013

Tarantino se déchaîne - Interview à propos de Django Unchained.


     Quentin Tarantino a l'ambition artistique de revisiter l'ensemble des genres découverts dans le vidéoclub où il travaillait dans sa jeunesse. Il est donc peu probable que le réalisateur stoppe sa carrière à 60 ans, contrairement à ce qu'il annonce à la fin de cet entretien. Tarantino est ici en interview à l'occasion de la sortie en DVD et Blu-ray de son dernier long-métrage Django Unchained, son western le plus cool.

     Alors ça y est, vous l'avez enfin réalisé votre western...
Quentin Tarantino : En effet, je peux arrêter de faire semblant de faire des westerns maintenant. Kill Bill : Volume II sonnait en effet déjà comme du western spaghetti ou encore Inglorious Basterds, spécialement dans son ouverture. D'après la plupart de mes collaborateurs historiques, Inglorious Basterds serait d'ailleurs mon tout premier western.

     L'autre point commun de ces films, et avec d'autres, c'est la vengeance. Elle est très présente dans votre œuvre...
C'est selon moi le moteur de nombreux cinémas de genre. Héritage des tragédies grecques ou des pièces de Shakespeare, on la retrouve dans la blaxploitation, dans les westerns, les films d'arts martiaux et de nombreux autres genres et sous-genres. La vengeance permet de créer des personnages emblématiques. Et d'une certaine façon, Django Unchained est un film qui traite de la vengeance. L'idée selon laquelle un esclave affranchi retourne affronter ses anciens maîtres donne au film un caractère indéniablement vengeur. Mais Django est d'abord un film de « sauvetage ». Son principal objectif est de sauver sa femme Broomhilda quels que soient les obstacles à éliminer sur son chemin.

     Vous diriez que c'est un western sudiste ?
En fait, j'aime beaucoup cette appellation même si - aux États-Unis du moins - il faut la manier avec prudence. Je ne tiens pas à semer la confusion dans l'esprit du public. Depuis le temps qu'on nous abreuve de western, l'imagerie collective associe le genre à l'Ouest, aux grands espaces du Montana, de l'Arizona ou au Wyoming... jamais au Sud, au Sud profond. Eu égard à la période, faire du western sudiste aurait obligé les studios à composer avec la condition des Noirs à cette époque et dans cette région : à savoir l'esclavage. aucun studio n'a voulu affronter ça. Qu'ils se déroulent avant ou après la guerre de Sécession, la plupart des westerns ont toujours éludé le problème de l'esclavage. Nous, on est en plein dedans, les deux pieds dans la boue, on affronte le plein problème, on le regarde dans les yeux et d'une certaine façon, on pose les jalons du western sudiste.

     Et comme c'était prévisible, vous avez dû affronter une certaine controverse...
Oui, et comme presque à chaque fois. La plupart de mes films sont sujets à controverse dans des domaines plus ou moins sensibles. Quand vous composez avec du matériel explosif, il faut s'attendre à ce que quelqu'un ait quelque chose à redire. Mais qu'importe la controverse. D'ailleurs cela a-t-il encore une signification aujourd'hui ? Combien de films controversés seront projetés en salles ? Et dans huit mois ces mêmes films sont diffusés sur les grandes chaînes de télévision. Ça n'a plus vraiment de sens.

     Avez-vous écrit le film avec une idée bien précise des acteurs qui allaient interpréter vos personnages ?
J'ai clairement écrit le personnage du Dr Shultz en le projetant sur Christoph (Waltz). Quand à Steven, le majordome de Candyland, c'est un rôle que j'ai taillé sur mesure pour Samuel (L. Jackson). Écrire pour quelqu'un sous-entend qu'il faut le connaître, connaître son rythme. L'intimité entre nous fait que je sais ce que je vais pouvoir leur donner et ce qu'ils vont faire. Ce sera forcément plus terrible, voire au-delà, que ce que j'imaginais. Mais écrire pour quelqu'un oblige aussi à brider sa propre imagination puisqu'on sait ce que l'acteur sera capable ou non de jouer. Par exemple, lorsque j'ai écrit le personnage du colonel Landa d'Inglorious Basterds, je n'ai imaginé qu'en cours d'écriture quel génie linguistique il allait être. Si à ce moment-là j'avais eu une idée précise de l'interprète, je me serais peut-être interdit d'imaginer un truc pareil pensant que mon acteur ne serait pas capable de jouer tous ces accents. Bref, mieux vaut ne pas avoir une idée trop précise de ses acteurs avant d'avoir finalisé ses personnages.


     Pour jouer Django l'esclave, il a été question de Will Smith au départ ?
Pas exactement. J'ai parlé avec Will comme j'ai parlé avec d'autres acteurs du personnage. Et Jamie (Foxx) s'est manifesté après avoir lu le script. Il a montré un intérêt réel pour l'histoire. Je me sentais en accord avec sa vision des choses. Il avait compris les enjeux de l'histoire et surtout ce que je cherchais à traduire à l'écran. Il a grandi au Texas dans les années 1970. À l'époque, la condition des Noirs dans cet État n'avait pas vraiment évolué. Sans faire d'amalgame avec la condition des esclaves, il semblait pourtant porter en lui une compréhension bien plus accrue de cette condition que n'importe quel autre acteur afro-américain que j'ai rencontré. Ce qui m'a convaincu, c'est qu'il comprenait ce que ce film devait être et ce qu'il pouvait représenter pour la génération de nos enfants. Et puis Jamie est un cow-boy mortel !

     Tout comme DiCaprio est pour une fois, un méchant mortel !
En effet, mais c'est un peu plus complexe que cela. Le travail d'un acteur - et qui plus est d'un grand acteur comme Leonardo - va au-delà du schéma gentil-méchant. Un acteur comme lui, n'ouvre pas un tiroir en fonction du personnage qu'on lui demande de jouer. Il cherche à comprendre qui il est, qui il doit devenir. Sur le tournage, je ne voulais d'ailleurs pas qu'il se considère comme un méchant mais qu'il réfléchisse en termes de produit de son environnement. Je voulais qu'il me donne un Calvin Candie non pas odieux au sens cinématographique du terme, mais simplement représentatif de ce que pouvait être un héritier d'une plantation de coton ayant grandi avec une batterie d'esclaves noirs à son service, qui n'a jamais quitté son domaine et qui n'a donc jamais affronté d'autres visions sociales voire égalitaires. Bien sûr que cela fait de lui le méchant du film, mais sa mission en tant qu'acteur fut d'abord d'être juste et authentique, pas "méchant". C'est un roi. C'est le Louis XIV du Sud des États-Unis.


     Vous, l'adepte du cinéma de genre, êtes devenu un genre à vous seul. Comment envisagez-vous votre avenir artistique ?
Je ne vais pas faire des films toute ma vie. Je pense que j'arrêterai à 60 ans.

Source : Carrefour Savoirs, mai 2013.

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